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To Cure or To Care ?

J’ai été récemment frappé par une similitude entre les enjeux environnementaux et un enjeu qui semble majeur en matière de santé publique.

« To cure or to Care ?» est une question qui occupe le milieu de la santé publique depuis un bon moment. « To cure » c’est « guérir la maladie (le curatif) », « to care » c’est « prendre soin de la vie pour prévenir la maladie (le préventif)».

La science a donné naissance à moult remèdes, connaissances et techniques pour guérir chez l’Homme les maladies (to care) jusqu’à à un degré d’efficacité tel qu’il nous a semblé que tout pourrait être guéri sans plus trop devoir nous soucier d’un mode de vie sain (to care). Mais le coût de la médicine curative devient insoutenable pour la population de moins en moins en bonne santé à cause d’un environnement et un mode de vie malsains. D’où la nécessité, pour une vie en bonne santé pour tous, d’accorder bien davantage, à nouveau, d’attention à la prévention pour une vie saine dans un environnement sain, faute de quoi la médecine curative ne parviendra même plus à nous garder en bonne santé. Passer de « to cure » vers « to care », c’est revenir du « tout au curatif » vers la redécouverte d’un environnement et une vie sains, c’est remettre la vie en bonne santé au centre de l’attention au lieu des seules maladies.

Le chemin est encore long. En Belgique, une infime fraction seulement du budget de la santé est allouée à la prévention.

Et en matière d’environnement, nous contentons-nous aussi de guérir la Terre et la vie auxquelles nous continuons en même temps d’infliger des blessures, ou veillons-nous, par un changement de mode de vie, à la bonne santé de la Terre et des Hommes sans qu’il faille les guérir sans cesse et de plus en plus difficilement à coup de technologie toujours plus performante ?

Les préoccupations écologistes sur des bases éthiques et philosophiques datent déjà de l’Antiquités [1]. Plus tard, Saint François d’Assise (1182-1226), choisi comme patron de l’écologie, est connu pour sa vision bienveillante de la relation de l’Homme avec la nature. Parmi beaucoup d’autres précurseurs, le philosophe américain Henry David Thoreau jette en 1854 les bases de l’environnementalisme [2] et le diplomate et philologue américain George Perkins Marsh écrit en 1864 [3] que l’action de l’Homme conduit à un environnement aussi désolé que celui de la lune [4].  Le Club de Rome publie en 1972 son premier rapport, « les limites à la croissance », aussi nommé le « Rapport Meadows », qui plaide pour la décroissance matérielle et établit les bases théoriques du développement durable en considérant que la détérioration de l’environnement, la justice sociale, la détérioration de la santé et la croissance urbaine ne peuvent pas se résoudre s’ils sont considérés séparément.

Ces précurseurs ont un point commun : le comportement de l’Homme, la relation entre l’Homme et la Nature et, en tout cas dès l‘ère industrielle, l’équité sociale indissociable.  Revoir notre rapport à la Terre et aux Hommes pour éviter de devoir guérir. To care.

Et pourtant. Les indéniables progrès scientifiques et techniques qui nous permettent de mieux connaître et protéger la Terre et les Hommes semblent ne servir principalement qu’à limiter ou soigner sans cesse et de plus en plus difficilement les blessures que nous continuons à infliger à la Terre, à la vie et aux Hommes. Nous sommes encore dans le «To cure ». Mais, comme pour la médecine, cela ne suffit pas. La miniaturisation électronique n’empêche pas l’accélération du pillage de ressources terrestres rares et l’exploitation de personnes pour ce faire. La rapide augmentation de l’efficacité énergétique ne permet pas de réduire à suffisance les émissions de CO2 [5]. L’éparpillement non contrôlé de nos déchets à travers le monde prend des proportions abyssales malgré la technologie disponible pour l’éviter. Le rythme de disparition d’espèces vivante et de glaciers s’emballe.

La survie de la « santé pour tous » passe par un glissement de « to cure » vers « to care », du curatif vers le préventif. De la même manière, la survie de la Terre et ses vivants dépendra d’un glissement de l’illusion que la technologie pourra toujours guérir des conséquences de la croissance matérielle continue, vers une nouvelle relation bienveillante à l’égard de la Terre qui passe indéniablement par la décroissance matérielle, la frugalité.

Le développement durable n’est pas un vain mot, c’est un comportement, la nécessaire reconnexion à la Terre.

Les médicaments ne sont pas destinés à permettre un mode de vie malsain par ailleurs. La construction dite « durable » n’est pas destinée à rendre moins nocive ou excuser une production immobilière et infrastructurelle par ailleurs sur-prédatrice de territoires vivants et sans racines dans le monde du vivant.

Bâtisseurs, laissons-nous inspirer par les arbres.

[1] Par exemple, des lois pour la protection de forêts sont déjà promulguées à Ur (Irak, Mézopotamie) vers -2700 .

[2] Dans un des deux ouvrages majeurs « Walden or Life in The Woods » (l’autre étant « Civil Disobedience »)

[3] « Man and Nature, Physical Geography as Modified by Human Action »

[4] « The operation of causes set in action by man has brought the face of the earth to a desolation almost as complete as that of the moon »

[5] Les émissions directes de CO2 de la Belgique stagnent depuis deux ans alors qu’elles devraient baisser…

Auteur: Nicolas Goubau, architecte et urbaniste planétophile Atelier EUPALINOS

Illustration: Vincent Van Gogh, “Racines d’arbres”, huile sur toile, 50×100 cm, 1890, van Gogh Museum, AmsterdamLégende

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