Recevez toutes les actualités en matière de construction durable à Bruxelles en vous inscrivant à notre Newsletter - En savoir plus

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Romain Poulles – Faire de cette crise une opportunité

La pandémie que nous vivons actuellement n’est très certainement pas la dernière crise planétaire que l’humanité vivra dans les prochaines décennies.

La propagation rapide et les projections inconnues de COVID-19 ont pris le monde par surprise, l’entraînant dans une grande incertitude. Il est fort moins incertain que d’ici 2050, neuf milliards de personnes vivront sur la planète, dont 70% devraient vivre et travailler dans les villes, avec des impacts en termes d’émissions de CO2, de production de déchets et de consommation de ressources. Plus de personnes signifie une demande accrue d’eau, de nourriture, d’énergie, de terres, de matières premières et d’infrastructures de logement, les impacts du changement climatique affectant à la fois la quantité et la qualité des ressources naturelles. Jusqu’à présent, les réponses audacieuses pour prévenir ce qui pourrait devenir une crise sociale et économique sont marginales et timides.

COVID19 doit être vu comme une espèce de répétition générale, répétition générale finalement pas si grave par rapport à ce qui nous attend dans l’avenir, à en croire ceux qui développent les scenarii de la crise climatique. Si la crise climatique est généralement considérée comme “the big one”, les crises de pollution, de perte de biodiversité et de finitude des ressources (pour ne nommer que celles-là) seront également d’une ampleur incomparable à celle du COVID-19.

Nous avons vécu une première mondiale, un arrêt complet de notre économie qui a mis en lumière le manque de résilience de notre modèle.

COVID-19 nous a rappelé la fragilité de nos systèmes, nous a confronté avec l’exponentiel de ce type de phénomène avec laquelle nous avons tant de mal à composer et avec l’inertie de nos actions à savoir le temps nécessaire pour que nos actions portent des résultats mesurables.

La course vers les ressources vitales et limitées ont été matérialisée par exemple par “la course au papier toilette” lors de cette crise.

Et le secteur de la construction consomme par millions de tonnes des ressources finis, du sable, de l’eau potable, du cuivre, de l’acier,…

La crise actuelle rend l’économie circulaire encore plus pertinente que jamais, car elle recèle un nombre important de réponses économiquement attractives et pertinentes. Les premiers stades de la crise du COVID-19 ont révélé la fragilité de nombreuses chaînes d’approvisionnement mondiales, non limitées mais illustrées par les problèmes de disponibilité des équipements médicaux, par exemple.

Les principes circulaires fournissent des solutions crédibles: la réparabilité, la réutilisabilité et le potentiel de reconditionnement offrent des opportunités considérables en matière de résilience (disponibilité des stocks) et de compétitivité.

« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » disait Einstein. Connaissant les faiblesses du modèle linéaire actuel, il serait fou de relancer l’économie sans tenir compte des leçons qu’on doit de tirer de cette crise !

L’Europe est le continent qui a le ratio le plus faible entre ressources disponibles et besoins des citoyens. Elle est plus fragile que les autres. Il est donc stratégique pour l’Europe de changer de modèle économique sans délai.

Tout gaspillage de ressources est par essence un gaspillage d’énergie qui de surcroit est très souvent carbonée. Extraire des matières premières, les transformer, fabriquer des produits, les distribuer, tout ceci consomme de l’énergie. Si la fin de vie du produit est précoce, s’il n’est pas réparé, s’il n’est pas utilisé, s’il n’est pas recyclé, c’est toute cette énergie grise et carbonée qui est perdue.

Le secteur de la construction en tant que premier consommateur de ressources naturelles a un rôle primordiale à jouer dans la transition vers un modèle circulaire. Il dispose d’un levier d’action important et l’implémentation conséquente des principes de l’économie circulaire à impacts positifs peut contribuer largement à limiter une partie des crises susmentionnées.

On dit que « quand la construction va, tout va » , alors osons dire  « quand la construction se transforme, tout se transforme » !

L’économie circulaire à impacts positifs appliquée au secteur de la construction est un changement de paradigme et nécessitera des adaptations profondes dans la manière de concevoir, de construire, de déconstruire, de financer, d’utiliser et de maintenir les bâtiments.

Tout est à faire (ou à réinventer)!

A commencer par la formation, aussi bien des concepteurs, architectes , ingénieurs dans les métiers d’assemblage mécanique, de déconstruction sélective, de contrôle de qualité des composants réutilisés, de logistique inversée, de refabrication, de réparation, …  et ces métiers doivent être valorisés. La formation et l’apprentissage constituent à eux seuls le premier goulot d’étranglement du modèle circulaire.

Les obstacles sont multiples

Il est urgent de revoir le statut du “déchet”  (ou la définition du déchet). Un déchet est par définition tout matériau, substance ou produit qui a été jeté ou abandonné car il n’a plus d’utilisation précise pour son détenteur. C’est une définition qui pose d’énormes problèmes au réemploi et qui ne tient pas compte d’une possible réutilisation ou réemploi par quelqu’un d’autres que le détenteur initial.

Un autre problème majeur dans la transposition de l’économie circulaire est la disponibilité des bonnes données sur les produits. Le ministère de l’économie luxembourgeois est le porteur d’une initiative qui porte à créer un standard ouvert pour permettre l’échange d’information sur le potentiel circulaire d’un produit. Ce standard s’appelle le PCDS: Product Circularity Data Set. L’objectif est de formaliser les caractéristiques d’un produit vendu à chaque étape du processus de fabrication et de disposer aussi d’un standard d’échange IT. Cette approche permet de réduire les coûts et l’effort nécessaire afin d’évaluer la circularité d’un produit. A ce stade cette initiative est supportée par plusieurs acteurs internationaux et par des certificateurs comme le ‘Cradle to Cradle Products Innovation institute’.

© PCDS
© PCDS

Les passeports de matériaux sont une autre réponse potentielle à ce problème, mais il est peu probable qu’un standard s’établisse à court terme.

Un autre problème est le manque de plateforme logistique (physique et digitale) pour échanger l’information et les produits. Les « ressourceries » constituent un excellent début de réponse mais on est loin d’avoir une capacité suffisante pour pouvoir passer à une échelle plus industrielle du réemploi.

Finalement, pour que les assurances et garanties usuelles puissent s’appliquer à grande échelle, il faudra mettre en place un réseau de laboratoires de contrôles des produits et des matières premières secondaires, en différenciant réutilisation (nouvelle usage) et réemploi, cette différenciation augmente considérablement le degré de complexité.

Des opportunités incroyables pour le secteur

L’économie circulaire est avant tout un programme de maintien de la valeur économique. Créer de bâtiments à multi-usage, flexibles et adaptables, démontables et avec des composantes réutilisables permet de maintenir la valeur économique dans le temps. C’est un argument de poids à développer dans les prochains mois et années, c’est l’argument qui va faire basculer le secteur.

Même si l’énorme stock de matériaux dans les bâtiments existants doit être exploité au mieux, il ne faut pas oublier d’introduire dès maintenant les logiques de conception circulaires dans chaque nouveau projet de façon à faire de chaque bâtiment un réel dépôt de composantes et de matières premières.

Les villes ont un rôle majeur à jouer dans la création de chaînes de valeur “fermées”, circulaires, dans la réduction des déchets, dans la réutilisation des ressources et la restauration des écosystèmes, mais surtout dans la mise en place de politique à long terme pour des sociétés plus résilientes, inclusives, durables et prospères.

Ne soyons pas fous, ne revenons pas à la normalité d’avant COVID-19 mais profitons de cette répétition générale pour tirer des vrais conclusions pour nous engager dans nous voie résolument circulaire à impacts positifs. C’est la voie vers plus de résilience, la voie d’innombrables opportunités, la voie de l’avenir. C’est une voie semée d’embûches mais l’enjeu en vaut la chandelle !

 

Auteur de l’article : Romain POULLES
Contact: rpoulles@progroup.eu
Source: www.reemploi-construction.brussels