« Et si la logistique de chantier devenait un levier majeur de durabilité ? »
C’est l’une des réflexions clés que nous ramenons de deux jours d’immersion à Londres. De la gestion des matériaux à la rénovation du patrimoine en passant par l’habitat bas carbone, la capitale britannique s’impose comme un véritable laboratoire urbain, riche d’enseignements pour Bruxelles.
Le Construction Consolidation Centre : fluidifier la ville par la logistique

Première étape : le Construction Consolidation Centre (CCC), infrastructure pionnière créée il y a plus de 20 ans.
Bien plus qu’un simple entrepôt, c’est un hub logistique temporaire où les matériaux sont réceptionnés, scannés et livrés sur chantier au moment exact où ils sont nécessaires.
- Objectif : réduire la congestion urbaine – jusqu’à 75 % de trafic en moins dans le centre.
- Fonctionnement : chaque livraison est suivie par un QR code unique, garantissant traçabilité et précision. Les camions ne partent pas s’ils ne sont pas remplis.
- Durabilité : logistique inverse, redistribution des surplus à des acteurs du réemploi et reprise des déchets au retour.
L’entreprise a même diversifié ses activités vers la livraison sécurisée de colis.
Ce modèle fonctionne aussi parce que Londres a des règles strictes de circulation : la TFL (Transport for London) impose le programme FORS (Fleet Operator Recognition Scheme), avec trois niveaux d’accréditation (Bronze, Silver, Gold) — seuls les véhicules Gold ont accès à certaines zones.
Le CCC démontre que la logistique est un maillon essentiel de la durabilité urbaine. Une source d’inspiration directe pour Bruxelles, notamment autour du canal et de ses projets de consolidation.
Consoildation – Logistics Consolidation Centres – Wilson James
One Exchange Square : bureaux nouvelle génération
Deuxième visite : One Exchange Square, un immeuble des années 1990 transformé en bureaux de nouvelle génération, nous avons été reçus par Fletcher Priest Architects et Multiplex (entrepreneur général). La rénovation permet d’augmenter la surface utile nette de 16 % pour atteindre 41 341 m² de bureaux et 1 858 m² de commerces.
Plutôt que de raser, le projet conserve 90 % de la structure existante, réemploie 90 tonnes d’acier et réutilise la moitié de la façade en pierre.
Quelques faits marquants :
- Plutôt que de raser, le projet conserve 90 % de la structure existante, réemploie 90 tonnes d’acier et réutilise la moitié de la façade en pierre. Ce qui est remarquable quand on sait qu’une rénovation est taxée à 15% au UK contre 0% pour une démolition-reconstruction.
- Objectifs ambitieux : NABERS UK 5 étoiles, BREEAM Exceptionnel, WELL Platinum, réduction de 50 % des émissions de carbone intrinsèque et empreinte carbone neutre en exploitation.
- Réaménagement de 50 % de la façade en pierre existante pour réduire le carbone incorporé.
- Utilisation de matériaux recyclés, réutilisés ou à faible émission de carbone à l’intérieur.
- Démontage et don d’une partie de l’ancienne structure métallique pour créer un espace éducatif pour enfants.
Qualité des espaces :

- Plafonds allant jusqu’à 4,5 m, fenêtres ouvrantes, atriums et terrasses végétalisées de 279 m² par niveau.
- 111 m² d’espaces de confort intérieurs incluant salles multimédias et zones dédiées à la santé et au bien-être, intégrant 89 arbres.
Le projet allie performance environnementale élevée, optimisation de l’existant et confort des occupants, créant un environnement de travail sain et innovant.
Fletcher priest Architects nous a aussi emmené voir leur projet « 100 Fetter Lane », aussi nommé Edenica.
Un bâtiment de 12 étages qui se distingue aussi par son ambition élevée en matière de durabilité, bien-être et circularité.
- Il utilise un système de “Materials Passports” standardisés, cartographiant environ 80 % de la masse des matériaux pour faciliter leur réutilisation ou démontage ultérieur.
- La conception privilégie de généreux espaces accessibles au public : terrasses végétalisées sur six niveaux, un “pocket park” au rez-de-chaussée, des passages piétonniers repensés pour plus de perméabilité du site
- Bien-être, lumière naturelle et confort sont au centre du design : plafonds de 3,4 m, fenêtres ouvrantes, ventilation mixte (manualisée + automatique), espaces verts intégrés, matériaux naturels dans les intérieurs.
- Sur le plan environnemental, le bâtiment vise les certifications BREEAM Outstanding et WELL Platinum.
Mikhail Riches : concevoir autrement l’habitat
Avec Annalie Riches, cofondatrice du bureau Mikhail Riches, nous avons découvert une approche profondément humaine de l’architecture. Lauréats du Stirling Prize, ils explorent des pistes de solutions pour concevoir des quartiers bas carbone, pensés pour favoriser la convivialité et le bien-être.
Leur philosophie :
- privilégier les matériaux biosourcés (chanvre, bois, argile, cellulose),
- conception de logements passifs utilisant l’orientation du soleil pour intégrer au mieux les performances thermiques des logements et éviter les surchauffes supprimer la voiture au profit des espaces de rencontre et de jeux,
- L’exemple du projet de York en « zero carbon housing » illustre cette démarche où l’architecture devient vectrice de santé et de communauté. Plus d’info ici : https://www.mikhailriches.com/project/city-of-york-housing-delivery-programme/
- Réalisation d’une cartographie originale qui montre la place de la voiture, des chemins piétons, des espaces verts,… afin de faire ensuite une proposition favorisant des quartiers sans voiture, les « pocket park », les espaces de jeu et les liens sociaux.
Park Hill, la renaissance d’un géant
À Sheffield, le projet Park Hill illustre cette approche :
Symbole du progrès social au moment de sa construction, il fut ensuite surnommé la « cité maudite ». Cet immense complexe moderniste a été sauvé de la démolition en étant classé monument historique. A partir de 2007, il est rénové avec respect et rendu à ses habitants. Les façades se sont colorées comme une mosaïque, la structure brute a gardé ses cicatrices, et les intérieurs se sont ouverts à la lumière.
Parmi les passerelles, une inscription veille : “I love you, will u marry me ?” Peinte par un habitant à la fin des années 1990, transformée en néon rose, elle brille aujourd’hui et symbolise cette réconciliation entre passé et présent.
Une vidéo de la BBC illustre le projet : https://www.youtube.com/watch?v=MwC5Yer-2B0
Mikhail Riches | Sustainable Architecture | London
Sheppard Robson : entre héritage et innovation
À travers des projets comme le Pall Mall à Manchester, Sheppard Robson explore des stratégies de requalification patrimoniale combinant :
- respect de la valeur historique,
- amélioration des performances énergétiques,
- intégration d’espaces de bien-être.
Une approche pragmatique, qui prouve que rénover peut être plus vertueux que démolir.

Sheppard Robson est un cabinet d’architecture, de design d’intérieur et de planification urbaine fondé en 1938, qui opère depuis plusieurs bureaux au Royaume-Uni (Londres, Manchester, Glasgow). Leurs travaux couvrent un spectre très large : bâtiments de logement, universités, écoles, santé, espaces de travail, etc. Ils se présentent comme « people-centred » (centrés sur l’humain), « precision-made » (soigneux des détails), et cherchent à co-créer avec les usagers, à intégrer leur expérience collective dans le processus de conception.
Sur le plan de la durabilité, Sheppard Robson ne se contente pas de viser des labels ou certifications : ils intègrent des principes d’efficacité énergétique dès la conception (approche « fabric-first »), examinent le carbone non seulement à l’usage mais aussi incorporé (embodied carbon), et remettent en cause les standards usuels pour pousser vers des performances supérieures.
Coal Drops Yard : l’espace public comme moteur de régénération

Dernière étape : Coal Drops Yard à King’s Cross, une balade guidée par Alex Bushell (Camden Council).
Autrefois dépôt de charbon, ce projet de régénération urbaine, initié il y a plus de 15 ans, illustre parfaitement comment la réussite d’un quartier repose avant tout sur la qualité de l’espace public.
- Des places, des fontaines et des cheminements piétons accessibles à tous.
- Une mixité d’usages (commerces, logements, bureaux) qui s’ancre dans un cadre historique réhabilité.
- Une gouvernance publique-privée exigeante, avec des objectifs clairs en matière de logement abordable et de continuité urbaine.
Dans ce contexte, la rénovation de Coal Drops Yard par Heatherwick Studio incarne le geste architectural phare de cette métamorphose : deux entrepôts victoriens reliés par un toit courbé spectaculaire — le “kissing roof” — qui crée un nouvel espace suspendu, tout en respectant les structures d’origine en brique et en fonte. Aujourd’hui, Coal Drops Yard est devenu un symbole du renouveau de King’s Cross : un lieu accueillant, traversé par la lumière, habité par des cafés, des galeries et des boutiques indépendantes. La réussite du projet tient autant à la restauration sensible du patrimoine qu’à la vision urbaine d’ensemble, qui a su tisser un lien entre passé industriel et modernité. Ce quartier autrefois marginal est désormais une destination culturelle et commerciale majeure de Londres.
Ce que Bruxelles peut en retenir
De nos rencontres londoniennes, nous retenons trois enseignements majeurs :
- La logistique est une clé de durabilité : un CCC performant fluidifie les chantiers et réduit drastiquement l’impact carbone.
- La rénovation prime sur la tabula rasa : qu’il s’agisse d’immeubles de bureaux ou de quartiers entiers, la transformation raisonnée génère plus de valeur que la démolition.
- L’espace public est la condition du vivre-ensemble : un urbanisme qui privilégie le piéton, la mixité et la convivialité crée des quartiers désirables et durables.
Ce voyage est une invitation à repenser nos pratiques et nos espaces publics mais aussi à ne pas prendre pour acquis les avantages que nous avons à Bruxelles comme par exemple : rénovation à 6% de TVA et nouvelle construction à 21% en Belgique contre rénovation à 15% et nouvelle construction à 0% au Royaume-Uni …
