Transition énergétique, production d’eau chaude et chauffage : entre contraintes et évolutions technologiques

Du duel gaz–mazout à l’inflation technologique.
Jusqu’au milieu des années 2010, la question du chauffage ne soulevait guère de débats. Pour un maître d’ouvrage ou un concepteur, le choix se résumait souvent à un duel entre la chaudière au gaz naturel ou au mazout, match que le gaz gagnait généralement lorsqu’il était présent. Se chauffer à l’électricité n’était pas un choix encouragé par les autorités, hormis chez nos voisins français avantagés par leur parc nucléaire.
La principale avancée technologique des vingt dernières années fut le passage aux chaudières à condensation, qui permis de gagner quelques pourcentages de rendement supplémentaire, encore fallait-il leurs permettre de condenser avec des retours à basse température.
Aujourd’hui, tout a changé, et se chauffer à l’électricité n’est plus autant déconseillé, au contraire. Qu’il s’agisse d’acheter une voiture ou de chauffer un bâtiment, la pression pour décarboner se fait sentir à tous les niveaux : réglementaire, économique et sociétal. Dans le domaine du chauffage, cela se traduit par l’arrivée d’un panel de technologies nouvelles ou repoussées sur le devant de la scène, chacune avec ses atouts et ses contraintes. De quoi complexifier sérieusement la réflexion.
Les pompes à chaleur : la star du moment
Dans les bâtiments récents — passifs ou à basse énergie —, l’intégration d’une pompe à chaleur (PAC) s’effectue relativement aisément depuis déjà quelques années. Les émetteurs fonctionnent à basse température, les besoins sont faibles et réguliers, et les COP affichent des valeurs séduisantes, jusqu’à un rapport de 5 entre l’énergie produite et l’énergie consommée pour un SCOP de PAC air-eau domestique ( calculé selon la EN 14825, température de départ à 35°C).
Mais dans le parc existant, c’est-à-dire la majorité des bâtiments à Bruxelles, les choses se compliquent. Les radiateurs dimensionnés pour des températures de départ supérieures à 50°C ont longtemps ralentit l’intégration de PAC standards par limite technologique, à moins d’être complétées par des chaudières. Il en était de même pour les productions d’eau chaude sanitaire. Le graphique suivant illustre les limites physiques des PAC, plus la température de départ augmente et plus le COP décroit. De même plus la température extérieure décroit et plus le COP et la puissance fournie décroit.

Les nouvelles générations de pompes à chaleur — notamment celles au propane (R290) ou au CO₂ — offrent enfin des solutions pour ces applications plus exigeantes. Ces fluides naturels permettent d’atteindre des températures de départ élevées tout en conservant un bon rendement. En revanche, ils introduisent de nouvelles contraintes techniques : gestion des risques d’explosion, sécurité accrue, formation spécifique des installateurs, et adaptation des équipements périphériques.
Une diversité de solutions… et un besoin accru de conseil
Le paysage technologique actuel ressemble à une carte d’options à tiroirs :
- PAC air-air, air-eau, eau-eau, sol-eau, VRV, 6 voies,… ;
- Individuels ou collectifs ;
- systèmes boucle commune et PAC terminales ;
- PAC communes et sous-stations décentralisées ;
- géothermie ouverte ou fermée ;
- réseaux de chaleur ;
- chaudières numériques ;
- productions hybrides…
Chaque scénario répond à un équilibre différent entre efficacité énergétique, limites de températures, robustesse, intégration architecturale, contraintes acoustiques, budget, coûts opérationnels et maintenance.Le rôle du bureau d’étude est central pour poser les bons choix en phase d’étude.
Face à cette diversité, le client — même averti — peut rapidement se perdre. Les choix techniques posés dès la phase d’esquisse ont un impact déterminant sur l’intégration, le coût global et les performances réelles.
L’importance d’identifier ses besoins.
Faut-il opter pour un système 100 % électrique, misant tout sur la pompe à chaleur, ou pour une solution hybride, combinant PAC et chaudière à condensation ?
Faut-il prévoir plus d’isolation et des techniques sobres, ou plus de puissance mais un pilotage à la demande ?
Se pose aussi la question de la robustesse : prévoir de la redondance au vu du coût des machines ? Augmenter l’inertie thermique de l’installation avec des ballons tampon ? Ou encore prévoir la possibilité de dépanner temporairement via backup de résistance électrique ou une machine de location ?
À cela s’ajoute un autre enjeu : la production de chaleur peut aller de pair avec la production de froid. Une pompe à chaleur peut produire du rafraîchissement — en a-t-on réellement besoin ? Est-ce un besoin futur probable, ou simplement nécessaire pour assurer la recharge de la source froide dans certains systèmes ?
Il n’existe évidemment pas de réponse universelle à ces questions.
Chaque projet nécessite de définir précisément :
- le profil énergétique du bâtiment,
- les contraintes réglementaires,
- les priorités du maître d’ouvrage,
- et, de plus en plus, le contexte énergétique et géopolitique.
La conception peut privilégier la simplicité fonctionnelle et la robustesse, tout en s’appuyant sur une régulation intelligente, capable d’optimiser en continu le fonctionnement selon la météo, les usages réels et les opportunités du réseau.

Un cadre en évolution permanente
Les concepteurs doivent désormais jongler avec une série de contraintes en mouvement :
- PEB et objectifs d’émissions nationales et régionales : exigences croissantes en matière d’efficacité et de part renouvelable et décarbonée. À partir du 1er janvier 2027, tous les bâtiments neufs qui sont la propriété ou qui sont occupés par des pouvoirs publics doivent répondre aux exigences PEB zéro émission et être équipés de systèmes de production d’énergie solaire, soit 3 ans avant les bâtiments neuf du secteur privé.
Une mise à jour de la règlementation PEB est encore en cours d’étude, et pourrait voir le facteur de conversion de l’électricité en énergie primaire baisser, ce qui favoriserait l’électrification.
- Règlement F-Gaz : réduction progressive des fluides frigorigènes à fort potentiel de réchauffement global (GWP).
- Normes techniques : sécurité gaz, nouveaux protocoles d’installation pour les fluides naturels.
- Évolution des mentalités : les clients souhaitent désormais du 100 % décarboné, tout en restant sensibles au budget et à la fiabilité.
Par ailleurs, les solutions présentées comme vertueuses hier peuvent aussi être remises en cause par l’évolution des prises de conscience environnementales. C’est le cas des gaz hydrofluoroléfines (HFO), promus comme substituts écologiques à faible GWP, mais désormais pointés du doigt pour leur appartenance à la famille des PFAS, ces « polluants éternels » difficiles à éliminer de l’environnement.
Dans la famille des gaz à faible impact GWP, les fluides frigorigènes naturels font un retour remarqué dans les pompes à chaleur modernes.
- Propane (R290) : excellent rendement, températures de production élevées (>75°C), GWP proche de zéro, mais classé A3 (hautement inflammable) → contraintes de sécurité importantes.

CO₂ (R744) : non inflammable, températures de production supérieures à 85°C, respectueux de l’environnement, mais qui nécessite des pressions de fonctionnement très élevées (100 à 140 bar contre 8 à 18 bar pour du R290).
Ces technologies ouvrent la voie à des PAC haute température adaptées à la rénovation, à condition de bien maîtriser la conception et la mise en œuvre.
Dimensionner juste, un enjeu économique et technique
Le dimensionnement d’une installation reste un point névralgique.
Bien que la norme NBN EN 12831 constitue la référence pour le calcul des déperditions de base, son approche stationnaire ne prend pas en compte l’inertie du bâtiment, les apports solaires et internes ni les conditions d’occupation dynamiques, ce qui peut conduire à un surdimensionnement (dimensionnement conservatif diront certains) des systèmes de chauffage. Les PAC ont le fâcheux désavantage de voir leur puissance réduite de 25 à 40 % par grand froid. Résultat : une pompe à chaleur trop puissante en mi saison et coûteuse à l’achat.
À l’inverse, un dimensionnement dynamique, fondé sur des hypothèses de fonctionnement réalistes et couplé à l’expérience du concepteur, permet d’optimiser les puissances installées pour maîtriser les coûts.
C’est une approche plus exigeante, mais indispensable pour atteindre l’équilibre entre performance, confort et viabilité économique.
Vers un chauffage sobre et intelligent
Décarboner le chauffage ne consiste pas simplement à changer de machine.
C’est repenser en profondeur la relation entre le bâtiment et son système énergétique. Les solutions existent, mais leur pertinence dépend avant tout de la qualité de la conception, de la précision du dimensionnement et de la coordination entre acteurs.
Les prochaines années verront apparaître des systèmes de chauffage toujours plus intelligents et interconnectés, conçus pour fonctionner en cohérence avec les smart grids. L’objectif n’est plus seulement de produire de la chaleur, mais de l’utiliser lorsque l’énergie renouvelable est disponible, via des pilotages dynamiques, des ballons tampons optimisés, des stratégies de préchauffage et une modulation fine de la demande.
En parallèle, de nouvelles sources de chaleur se développent : valorisation de chaleur fatale — dont celle des data centers via les “chaudières numériques” — réseaux de chaleur basse température ou récupération industrielle à l’échelle locale.
L’évolution des marchés de l’énergie à prix variables accélère cette transition. À Bruxelles, les fournisseurs sont autorisés depuis le 1er juin 2025 à proposer des contrats dynamiques, où le prix de l’électricité varie heure par heure en fonction du marché. Ces tarifs ouvrent la voie à des stratégies de pilotage avancées : adapter le fonctionnement des installations en temps réel pour réduire les coûts, optimiser l’empreinte carbone et contribuer à la stabilité du réseau.
Par ailleurs, le développement des communautés d’énergie permet des échanges locaux — électricité solaire, stockage mutualisé, synergies thermiques — améliorant la synchronisation entre production et consommation au niveau des quartiers.
Mais au-delà des technologies, il ne faut pas céder au techno-solutionnisme.
Dans un futur où l’énergie disponible — même renouvelable — restera limitée, la sobriété ne sera pas seulement souhaitable : elle sera incontournable. Les pratiques de sobriété énergétique — illustrées notamment par le projet SlowHeat (UCLouvain, ULB, Habitat & Participation, Communa) — combinées à une architecture qui réduit les besoins et maximise les apports gratuits, demeurent la voie la plus directe et la plus efficace vers la décarbonation.
Un contexte exigeant, certes, mais aussi une formidable opportunité : réinventer le confort thermique dans un système énergétique coopératif, flexible et résolument bas carbone.
Article rédigé par : Flow Transfer International SA


