À l’heure où le secteur de la construction se voit contraint de repenser ses pratiques pour répondre à l’urgence climatique, le bois apparaît comme un matériau de choix. En Belgique, son intégration reste pourtant timide, voire marginale dans certains segments du marché. Pourtant, les signaux de mutation se multiplient. ecobuild.brussels s’est entretenu avec des experts du secteur, Hugues Frère (Hout Info Bois) et David Roulin (ArtBuild Architects), pour dresser dans cet article un état des lieux nuancé, entre constats structurels, perspectives techniques et convictions environnementales.
L’expertise ne fait pas le réseau
Avec environ 120 entreprises actives dans la construction bois à l’échelle nationale, le paysage belge reste plutôt modeste. À Bruxelles, une seule entreprise est véritablement spécialisée. Le reste du tissu économique est constitué principalement de très petites structures, souvent issues de la menuiserie ou de la charpente.

« On a une majorité d’entreprises qui construisent moins de dix projets bois par an, ce qui illustre à quel point le secteur reste dominé par des TPE », précise Hugues Frère. Ce morcellement freine la professionnalisation du secteur et la montée en puissance de filières structurées.
Photo: Hugues Frère, directeur de Hout Info Bois
Du côté flamand, les habitudes de préfabrication et de « clé-sur-porte » permettent une meilleure organisation industrielle. Mais en Wallonie, malgré un savoir-faire historique, l’essor reste timide. « C’est un paradoxe : on a les compétences, mais elles ne sont pas suffisamment mobilisées dans une dynamique collective », souligne David Roulin.
Photo: David Roulin, CEO ArtBuild Architects (copyright Bénédicte Maindiaux)

Bruxelles : pionnière en énergie, à la traîne sur la matière
A l’échelle belge, la Région de Bruxelles-Capitale fait figure de pionnière en matière d’adaptations des réglementations de la construction, notamment sur le plan de l’efficacité énergétique. A l’heure actuelle, ces adaptations ne prennent pas encore suffisamment en ligne de compte la question des matériaux de construction. « En 2015, la Région imposait le standard passif. Tout le monde a suivi. Pourquoi ne pas faire de même pour le bois ? », questionne David Roulin.
Pourtant, les avantages du bois en milieu urbain dense sont évidents. Sa légèreté permet de construire en surélévation sur l’existant, le plus souvent sans renforcer la structure préexistante. « À Bruxelles, il suffit de regarder une carte satellite : les toitures plates représentent un gisement constructible énorme », affirme Hugues Frère. Le bois, par sa rapidité de mise en œuvre et sa faible nuisance de chantier, y est parfaitement adapté.
Quelques projets récents démontrent ce potentiel, mais ils restent l’exception. L’architecture bois ne s’est pas encore imposée comme une réponse automatique dans les appels à projets publics ou les marchés immobiliers privés.
Retard européen et qualité belge
Comparée à ses voisins, la Belgique peine à suivre le rythme. La France a imposé des quotas de matériaux biosourcés dans les commandes publiques. En Autriche et en Scandinavie, la construction bois est un standard culturel et industriel. « Si l’on prend comme référence nos voisins proches, la France a dix ans d’avance sur nous. Et même le Luxembourg commence à nous dépasser », observe David Roulin.
Mais la Belgique n’a pas à rougir sur le plan technique. « Nos exigences réglementaires en matière de performance énergétique ont poussé les entreprises à développer une vraie expertise », souligne Hugues Frère. Ceci explique, selon lui, le fait que la qualité constructive belge soit souvent supérieure à celle de pays pourtant plus avancés, habitués de construire en bois.
L’enjeu est donc moins celui de la compétence que celui du passage à l’échelle, via un soutien politique, des commandes publiques favorisant l’utilisation du bois, et le développement d’une structure renforcée du marché.

Le coût, un faux problème ?
La question du coût est régulièrement brandie comme un frein à l’utilisation du bois. Or, selon nos deux experts, cette perception mérite d’être nuancée. « En France, lorsque l’obligation d’avoir recours aux matériaux biosourcés a été mise en place, le bois était alors plus cher que les matériaux traditionnels comme l’acier et le béton. Dix ans plus tard, les écarts se sont largement réduits, parfois même inversés, grâce à l’économie d’échelle et à la concurrence accrue », rappelle David Roulin.
En Belgique, le nombre limité d’acteurs susceptibles de répondre à des appels d’offres d’envergure en construction bois empêche cette dynamique : « Faute de concurrence, ces acteurs dictent le loi du marché, le principe de l’offre et de la demande ne joue pas pleinement son rôle. Le contexte belge de la construction bois explique donc, du moins en partie, le surcout du bois en comparaison à d’autres méthodes constructives traditionnelles », explique-t-il.
Cependant, de nombreux autres arguments plaident en faveur de la construction bois en matière de coût. Dès lors qu’un projet bois est anticipé dès la phase de conception, son efficacité économique devient plus claire. Les économies indirectes (durée du chantier, modularité, limitation des parachèvements, coordination) pèsent aussi dans la balance.
Des atouts cruciaux à faire valoir
Outre sa faible empreinte carbone, le bois se distingue par sa rapidité d’exécution. « Dans ma rue, une maison bois a été construite récemment. Pour l’exécution des travaux, ils avaient prévu de de bloquer la rue pendant une semaine. Après à peine deux jours et demi, le gros œuvre était achevé, et la rue était de nouveau ouverte à la circulation », se souvient Hugues Frère.

David Roulin insiste également sur l’impact sur les individus : « Le bois a un effet positif sur le bien-être qui est prouvé scientifiquement. C’est la notion de biophilie : l’odeur, le toucher, la perception du matériau naturel agissent positivement sur notre organisme ».
Photo: Siège de Stanley Stella, entreprise textile écoresponsable, Bruxelles (copyright Serge Brison)
Pour les professionnels aussi, le bois représente une opportunité. Il modernise les pratiques, attire de nouvelles compétences, facilite l’intégration de technologies numériques et de préfabrication. Ces avantages constituent également une réponse à la problématique de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur, grâce à des méthodes de travail plus propres, plus industrialisées et plus valorisantes, et surtout moins pénibles pour les ouvriers.
Repenser le cadre : de la matière à la circularité
La vraie rupture ne réside pas uniquement dans le choix du bois, mais dans une nouvelle approche de la construction. Il s’agit de repenser les bâtiments comme des systèmes modulaires, démontables, adaptables. « On travaille depuis plus de dix ans sur la conception en vue du réemploi et la construction hors-site. Mais pour que celle-ci soit déployée à grande échelle et de façon systématique, une transformation culturelle de fond est nécessaire », explique David Roulin.
Le bois, par sa structure, sa légèreté, sa facilité d’assemblage, se prête particulièrement bien à ces logiques. Il devient un allié naturel des démarches circulaires et de l’économie du réemploi. « C’est un matériau de transition dans tous les sens du terme : technique, écologique, et bénéfique pour la santé de tous les utilisateurs », ajoute-t-il.
Des leviers clairs à activer
Pour enclencher cette dynamique vertueuse, les deux experts appellent à un signal politique clair. « La commande publique doit assumer son rôle de locomotive. C’est par l’exemplarité qu’on entraînera le reste du marché », insiste David Roulin. Il appelle aussi à activer des incitants : bonus pour les projets bas carbone, soutien à la filière, allègements fiscaux, etc.
Hugues Frère, de son côté, met en avant l’outil TOTEM, développé pour mesurer l’impact environnemental des bâtiments : « Il faut que les petites entreprises puissent y intégrer leurs produits. Aujourd’hui, une EPD coûte 15 000 €, c’est hors de portée pour elles ».
Tous deux regrettent l’absence en Belgique d’un grand salon dédié à la construction biosourcée, comme celui organisé chaque année en France. « On milite pour une édition bruxelloise du Forum International Bois Construction dédié au Benelux. C’est là que se forge la culture commune, que les idées circulent », conclut David Roulin.
Un besoin d’actions concrètes et toutes les raisons d’y croire
Les conditions sont là : expertise technique, volonté des acteurs, exemples inspirants. Il reste à transformer l’essai, en renforçant les mécanismes de soutien, en stimulant l’offre et en provoquant la demande. La construction bois ne peut plus rester l’exception : elle doit devenir l’un des standards d’un secteur qui se veut durable, intelligent et responsable.